Honeyland : La vie d’une reine misérable et lumineuse.

Honeyland est un film macédonien de Ljubomir Stefanov et Tamara Kotevska, sorti en 2019. Il dépeint la vie d’Hatidže Muratova, une apicultrice vivant seule avec sa mère de 85 ans dans un petit village isolé et pratiquement dépeuplé du centre de la Macédoine du Nord.
Hatidže appartient à la communauté turque macédonienne et le documentaire est donc principalement en dialecte turc local. Il a été tourné dans un village en ruine, dans la vallée de la bregalnitsa.

Carte macédoine du Nord

À l’origine, les réalisateurs projetaient un documentaire plus général sur cette vallée isolée, mais la rencontre de l’apicultrice fut si décisive que le documentaire ne concerne plus qu’elle seule. Le tournage a duré trois ans, au fil desquels ont été collectées quelques 400 heures de pellicule.
Le film évoque à travers le portrait d’Hatidže diverses questions culturelles et environnementales. Par exemple celle du rapport à la nature du chasseur-cueilleur opposé à celui de l’éleveur dans l’exploitation des ressources naturelles. L’équilibre fragile de l’écosystème est symbolisé par l’apicultrice et sa relation au monde sauvage, tandis que la violence de la société moderne est représentée par l’arrivée de nouveaux voisins et de leur troupeau dans le village. On pourrait y voir une évocation de l’éternel conflit symbolisé par l’opposition d’Abel et de Caïn…

Affiche HoneylandLa plus belle scène du film nous montre Hatidze qui marche libre dans les grands espaces des Balkans. Comme elle ne possède pas de ruches, elle collecte le miel et des essaims d’abeilles dans la nature. Elle chante aux antennes des abeilles sauvages devant une grotte à flanc d’une falaise vertigineuse. Elle recueille un essaim dans une ruche en osier qu’elle emporte sur son dos. Elle rentre chez elle dans la merveilleuse lumière du soleil couchant…
La seule liberté d’ Hatidze est d’aller courir la montagne, comme le font les butineuses. Elle est heureuse à ces moments là, comme l’abeille « fiancée au rayon de soleil ». Son butin à elle n’est pas le nectar et le pollen des fleurs, mais d’autres abeilles, ses sœurs.
Le film montre qu’Hatidze est à la fois dans l’univers des hommes et dans l’univers des abeilles. Elle aide et sauve de la noyade la petite fille comme elle tire de l’eau une abeille tombée dans la fontaine.
Plutôt que Honeyland, « le pays du miel », ce film aurait pu avoir pour titre « la vie d’une ouvrière devenue reine ».

En effet, Hatidze, « la femme aux abeilles » pourrait être vue autant comme une abeille que comme une femme. Elle consacre sa vie à sa mère, la soigne et la nourrit chaque jour avec un dévouement exemplaire, comme fait l’abeille ouvrière pour la reine et le couvain. Lorsque sa vieille mère vient à mourir, elle part seule, au cœur de l’hiver…
Comme l’ouvrière abeille, Hatidze est stérile : elle se lamente de n’avoir pas d’enfant.
Est-elle vraiment abeille ? On peut le croire, et on doit l’imaginer heureuse, comme Sisyphe. Son sourire lorsqu’elle s’en va chercher ses sœurs dans la montagne nous y invite. Sa vie est misérable, mais comme l’abeille, un rayon de soleil la comble de bonheur.
Hatidze est misérable, mais si on l’imagine abeille, c’est une reine…

Henri Roussel
lespetitscarresdecaen.fr

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